Journée inter-académique des professeur.e.s documentalistes d’Ile de France 2018 : du CDI au Learning Center, mais où va l’Institution ?

Pour la troisième année consécutive, Canopé Ile-de-France et les IA-IPR EVS – Établissements et vie scolaire des trois académies franciliennes organisaient, à la Bibliothèque nationale de France et dans les Canopé départementaux, la journée inter-académique des professeur.e.s documentalistes. Si l’année dernière, seul.e.s les collègues animateur.trice.s de district étaient invité.e.s à la BNF, ce qui avait créé quelques remous, cette année tout le monde pouvait solliciter une inscription sur le lieu principal de cette journée. Dans les Canopé départementaux, les collègues participaient à des ateliers et visionnaient par vidéo-transmission les conférences. Le thème de la journée, « Le CDI : espaces et temporalités », a été articulé autour de plusieurs conférences : Béatrice Besson a présenté le Learning Hub de l’école de commerce EMLyon Business School de Saint Etienne dans lequel elle travaille; Christelle Bernard, Julie Bonhomme et Marie Chevalier, professeure et étudiantes de l’école de design Boulle, ont exposé des projets d’étudiant.e.s sollicité.e.s pour transformer le CDI du collège Boris Vian de Paris ; Jean-Pierre Véran (IA-IPR EVS honoraire), Elodie Royer (professeure documentaliste et formatrice académique dans le master MEEF documentation à l’ESPE de Lorraine), Bernard Heizmann (professeur documentaliste et formateur, co-responsable du master MEEF documentation à l’ESPE de Lorraine), Emmanuelle Marquez (professeure d’arts appliqués, formatrice académique à l’ESPE d’Antony) et Mireille Lamouroux (chargée de mission auprès de la direction de la DNE) ont finalement conclu la journée en commentant les travaux des ateliers qui se sont déroulés dans les Canopé départementaux. En fin de matinée, des employé.e.s de la BNF ont présenté différents services au public, tels que Gallica ou les activités du service pédagogique. 

Regard sur les interventions : où est le.la professeur.e documentaliste ?

Le premier constat qui a été fait, et ce avant la journée à proprement parler, est celui de l’absence de professeur.e.s documentalistes parmi les intervenant.e.s. A part les deux membres de l’ESPE de Lorraine, professeur.e.s documentalistes à temps partiel en établissement, mais présenté.e.s comme formateur.trice.s et pas professeur.e.s, aucun.e collègue n’est intervenu.e à la BNF. L’invitation faite à une collègue de l’enseignement supérieur privé ne manque pas non plus de nous interroger : l’EMLyon Business School est un ensemble d’écoles de commerce privées, aux droits de scolarité onéreux dont le but assumé est de permettre la plus grande adaptation possible des élèves au marché du travail. La transformation de la bibliothèque « traditionnelle avec des livres, des tables et des chaises » [B. Besson] en learning hub — concept peu défini par notre interlocutrice — a été subventionnée par une banque et s’inscrit dans une logique d’innovation autour du numérique. Les projets de CDI présentés par les élèves de l’école Boulle suivent le même chemin : différentiation entre un CDI « traditionnel » à transformer et un CDI « numérique » innovant, création de culture lab — sans expliquer ce que cela signifie –, image dynamique, le tout sans retour du.de la collègue en poste, absent.e des réunions de concertation. 
Cette transformation s’appuie sur un vocabulaire très anglophone et managérial, répété tout au long de la journée, présentant des concepts très flous, jamais explicités clairement.  Il s’agit ainsi de créer des lab avec des espaces différenciés entre la speaker box, les silent rooms, ou autres containers, ou training rooms, pour favoriser le coworking et le learning by doing et faire des élèves des early makers, le tout en puisant des post it dans des brain bubbles. Le postulat étant qu’en faisant évoluer les espaces scolaires et les ressources – suppression du papier pour des ressources numériques –, les élèves plus autonomes deviennent enfin acteur.trice.s de leur scolarité et les professeur.e.s font évoluer leurs pratiques : c’est là que se situe l’innovation. 
Le personnel de la bibliothèque ou le.la professeur.e documentaliste devient alors, par un « changement de paradigme » [B. Cocq], « médiateur » ou knowledge manager. L’intervention auprès de l’élèves se fait au cas par cas, presque entre pairs, selon ses demandes pour l’orienter vers les ressources « qu’il devra utiliser demain en entreprise » [B. Besson]. Le.la professeur.e documentaliste gère alors l’accès aux lieux et aux espaces différenciés comme la web radio ou la web TV. Il.elle reste un pédagogue parce qu’il.elle fait des choix de gestion et d’aménagement du CDI qui permettent des échanges entre élèves et leur appropriation du lieu. Dans ces nouveaux CDI, l’apprentissage horizontal entre pairs est primordial. La dimension pédagogique telle que nous la concevons, c’est-à-dire le professeur documentaliste dispensant des cours d’information documentation ou d’EMI, reste absolument anecdotique voire inexistante.
Le learning center, terme utilisé dans le supérieur pour désigner des espaces très variés de travail et de ressources, censés renforcer l’autonomie des étudiants et les échanges entre eux, est donc au centre de la réflexion, au-delà même des Centre de Connaissance et de Culture (3C). Il s’agit alors d’augmenter l’amplitude d’ouverture — les deux collègues de l’EMLyon Business School ouvrent 75h par semaine, la matinée du samedi étant assurée par un agent de sécurité —, le nombre de places proposées, tout en diminuant les collections physiques à gérer, trop importantes pour un personnel au nombre au mieux stagnant. Le CDI doit être ouvert aux collègues pour des collaborations avec ou sans le.la professeur.e documentaliste, aux élèves hors de la présence du professeur.e documentaliste ; il peut être en lien avec les espaces de vie scolaire et même ouvert sur l’extérieur du collège pour les parents, les collectivités locales et les associations [collège Boris Vian et travaux des étudiant.e.s de l’école Boulle]. 

Rappels nécessaires sur les missions des professeur.e.s documentalistes

Le choix des intervenant.e.s et du thème de la journée nous ont fortement surpris.e.s. Il nous aurait semblé plus pertinent au regard de l’actualité et du renouvellement de notre circulaire de missions de travailler les question liées à la validation de l’information sur internet, incluant de ce fait le rapport info/intox qui a été discuté au niveau ministériel. S’il s’agissait de travailler sur les lieux, nous déplorons que ce soit une collègue universitaire du privé qui ait fait l’intervention principale là où de nombreux collègues professeur.e.s documentalistes auraient pu rendre compte de leurs réflexions et transformations locales, plus en lien avec nos possibilités et nos budgets. Nous aurions apprécié aussi pouvoir discuter de ces questions avec des représentant.e.s des départements et des régions qui sont aux initiatives financières des créations d’établissement pour définir par exemple les besoins fondamentaux des CDI et réfléchir avec eux aux évolutions possibles à mener dans ces lieux. Enfin nous regrettons l’oubli complet du rôle didactique des CDI: si l’accueil au CDI a été au centre de la journée, le fait que le CDI soit un lieu didactisé a été complètement passé sous silence laissant ainsi tomber deux de nos missions principales: la mission d’enseignement de l’info-documentation qui se fait régulièrement via le CDI et son organisation et la mission d’acquisition de collections en lien avec les élèves, l’équipe pédagogique, les enseignements et le lieu. 
Les interventions de cette journée nous inquiètent donc quant à l’évolution de notre métier, mais plus largement de l’école elle même. En proclamant le 3C, ou learning center, centre de l’établissement et en y associant très étroitement les outils et ressources numériques, l’institution s’engage sur le chemin de « l’innovation pédagogique » telle que développée par le privé : à coup de MOOC et de cours dématérialisés. Il nous semble au contraire nécessaire d’affirmer l’importance de la médiation humaine et de prendre du recul par rapport aux outils en restant concentré.es sur les apprentissages. Il est également primordial de rapprocher les enseignant.e.s des élèves, non pas en supprimant des postes ou en réduisant leur nombre au concours  mais en diminuant le nombre d’élèves par classes, et en leur permettant d’accéder de manière égalitaire sur le territoire à tous les enseignements, dont celui d’info-documentation dispensé par les professeur.e.s documentalistes.
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